(oh ophelia, heaven help a fool who falls in love)
ophelia. c'est comme ça qu'elle s'appelait. c'est comme ça qu'il l'appelait. pas de surnom entre eux. il n'a jamais aimé ça. ni pour lui, ni pour les autres.
il l'avait tant frappée. il l'avait tant aimée.
incapable de la tuer. alors, il l'avait piégée, l'avait retenue. interdit de la libérer, incapable de la faire disparaître. il avait transgressé les règles, alors il se terrait. il se terrait, avec elle. s'il la relâchait, ils sauraient qu'il avait échoué. s'il la relâchait, elle s'en irait. elle le détestait. et pourtant, elle s'était habituée. à ses poings, à son accent dur, à sa violence. à ses yeux clairs, à ce soubresaut de douceur parfois sous ses paumes, à ce doux syndrome dont elle était victime. celui de stockholm. l'agneau éprise du loup.
le loup piégé, le loup exclu, le loup déchu.
il fallait régler ça. il avait souvent pensé à s'enfuir. avec elle, loin d'ici, loin des coups, loin des sirènes, loin de cette pseudo-justice que, loin de faire régner, ils détruisaient à chaque coin de rue. mais serghei, il n'avait jamais connu que ça. frapper pour se faire obéir. dépasser pour ne pas rester derrière. tuer, pour survivre. chez lui, c'était déjà comme ça. depuis tout gamin, quand il fallait prouver au père qu'il était assez fort pour rester en vie. quand on l'affamait, quand on le battait. il fallait prouver.
il avait toujours fallu prouver. mille et unes étoiles, qu'on était la plus haute, celle qui brillait le plus. ces étoiles noires, vagabondes, qui se traçaient comme des apocalypses, qui saignaient le ciel comme une détresse.
ici aussi, il avait fallu prouver. dès le début. adolescent égaré. jeune adulte affirmé. le loup qui s'était fait sa place. tueur d'excellence. discrétion assurée. chaque cible donnée était cible disparue. il n'en existait aucune qui lui résistait, parce qu'il n'en existait aucune pour se mesurer à lui. peu importe l'âge, la taille, la force. mêlant habilement ruse et poigne de fer, serghei en venait toujours à bout. sans qu'ils s'en doutent. sans qu'ils voient, sous son maquillage de garçon sage, le démon qui l'habitait. et qui le rongeait, sans relâche.
aucune ne lui avait jamais fait défaut.
jusqu'à ophelia. elle était tombée du ciel comme une malédiction. comme une enclume, pour lui faire courber l'échine. fragile, à sa merci, facile, si facile.. oh, ophelia, si facile...
si facile qu'il n'y était pas parvenu. si facile qu'il avait échoué.
que le piège s'était refermé sur lui comme un étau. lui comprimant le crâne, le coeur aussi. un coeur qu'il avait longtemps cru mort, de pierre, figé. un coeur qui s'était réveillé face à cette chevelure claire, face à ces yeux d'eau, face à cet ange incontesté. elle était la perfection absolue.
et il avait fallu que ça tombe sur elle.
et il avait fallu que ça tombe sur lui.

alors, il la gardait enfermée. alors, il la gardait pour lui. jalousement, il la privait de tout. de lumière, de vie. il la nourrissait à sa présence, il l'abreuvait à ses iris tumultueux, il la gardait en vie dans son ombre. tant et si bien qu'elle avait, elle aussi, fini par s'y habituer. par s'y accoutumer. par s'en contenter. par en avoir besoin. c'est là que c'était devenu dangereux. c'est là qu'il aurait dû comprendre. mettre un terme à tout. c'est là que j'aurais dû te tuer, enfin, ophelia. retrouver le droit chemin, une allée si noire, mais la seule que j'avais jamais connu. tu m'en avais écarté si longtemps déjà, rendant éclatant mon décor, faisant de ce sentier désorganisé un boulevard brillant de tes yeux. de tes lèvres. de ton corps.
s'il te plait, mon amour, donne-moi la force de t'éliminer. ta présence m'est vitale et m'empoisonne, lentement, comme un cyanure aigre-doux, comme un clair-obscur conquérant.